L'appel vers Israel- Robert Assaraf

juifa du maroc a travers le monde

Jarblum et Spanien n'étaient pas les seuls dirigeants juifs à intervenir dans ce dossier. Se croyant toujours le porte-parole exclusif et le parrain tutélaire de la communauté juive marocaine, l'Alliance israélite universelle intervint auprès du sultan en faveur de la liberté d'émigration des Juifs marocains. Dans une lettre adressée à Sidi Mohammed ben Youssef en date du 29 mars 1949, le président de l'AIU et futur Prix Nobel de la Paix René Cassin écrivait, après les fonnules de politesse d'usage et le rappel de la bienveillance constante des souverains alaouites, ces lignes:

Voici, en effet, que nos coreligionnaires qui, depuis des siècles, vivaient paisiblement sans jeter leurs regards au-delà des frontières de votre Empire, contemplent d'un œil étonné leurs frères qui édifient une nouvelle existence nationale, libre et fière. Un nombre croissant d'entre eux rêve de les rejoindre.

Ayant toujours vécu au milieu de leurs cousins d'islam, ils ont appris à les connaître et à les apprécier et ils seront les meilleurs agents d'une amitié aussi souhaitable pour l'islam que pour Israël…

Mais, pour répondre à cette ardente espérance, il faut que ceux qui le souhaitent, puissent partir sans arrière-pensée, librement et la tête haute, gardant au cœur pour la terre qui les a nourris une reconnaissance sans mélange.

La démarche était plutôt maladroite. De plus, elle plaçait sur la scène publique une question traitée depuis quelques semaines avec une grande discrétion. Cette démarche ne pouvait qu’embarrasser les autorités françaises, confrontées à une vague de départs massifs. Le Quai d'Orsay s'en était ému et avait demandé à la Résidence de faire cesser les flux migratoires.

Celle-ci estimait que cela était impossible. Comme l'écrivait dans une lettre en date du 3 juin 1949 le délégué à la Résidence Francis Lacoste : « Depuis la cessation des hostilités, l'émigration a changé de caractère. Il s'agit d'une émigration pacifique, de caractère essentiellement politique sans doute, mais à laquelle nous ne pouvons nous opposer en invoquant des raisons de caractère absolu sur lesquelles se fondait notre attitude l'an dernier. »

Effectivement, avec la signature des accords d'amiistice entre Israël et ses voisins, le prétexte de l'état de guerre – qui avait officiellement légitimé l'interdiction globale d'émi­gration – avait disparu. La Résidence, sans aller jusqu'à la légalisation ouverte de l'alyah, entreprit de la tolérer en l'encadrant. Convaincu que seule l'Agence Juive était en mesure de le faire avec efficacité – à condition que son nom n'apparaisse pas -, le général Juin arriva à un accord verbal avec son représentant en France, Jacques Guerszuni. L'Agence juive serait autorisée à agir sous couvert de l'œuvre culturelle et caritative de la commu­nauté ashkénaze du Maroc, Kadima.

Avant de quitter Rabat pour Paris, Jacques Guerszuni consigna en ces termes l'accord auquel il était parvenu avec le général Juin :

Je crois bien faire de vous résumer en quelques lignes les détails du programme qui a fait l'objet de nos entretiens et dont vous avez bien voulu adopter le principe.

A-Il est apparu nécessaire d'assainir une situation désordonnée en ce qui concerne l'émigration des juifs du Maroc vers Israël. L'Agence juive pour la Palestine, dont vous connaissez les responsabilités en la matière, sent la nécessité d'une organisation rationnelle.

B-Il ne s'agit pas seulement de l'intérêt de l'Etat d'Israël. Nous pensons que la France peut profiter d'une émigration juive du Maroc vers la Palestine pour accroître son rayonnement dans tout le Levant, à condition que les immigrants du Maroc français fassent honneur au pays protecteur.

C-Pratiquement, cela comporte le principe d'une exclusivité en ce qui concerne l'émigration des juifs du Maroc vers Israël pour les représentants ou organes émanant de l'Agence juive. À cet effet, il est prévu que les représentants du dépar­tement de l'Immigration procéderont à la sélection des candidats selon les normes habituelles (âge, santé, situation de famille, aptitude professionnelle).

D-Pour éviter les errements suivis jusqu 'à ces jours, il sera créé à Casablanca un bureau dont la fonction serait de canaliser l'émigration. Il travaillera sous le couvert d'une société de secours social déjà existante (Kadima).

E- Aucun travail de ce genre ne sera passible sans la coopération de l'adminis­tration du Protectorat…

F-. Pratiquement, il semble nécessaire : a) de canaliser à Rabat toutes les demandes individuelles de visas de sortie émanant d'israélites marocains pour lesquels il y aurait lieu de penser qu'il s'agit de candidats à l'émigration ; b) d'instituer pour ceux-ci un système de visas collectifs valables pour des groupes de partants.

Sous le couvert de Kadima, l'Agence juive ouvrit effectivement un bureau à Casablanca et un camp de transit sur la route de Mazagan. L'accord fonctionna presque sans heurts jusqu'à la veille de l'indépendance du Maroc.

Le sultan n'acceptait pas véritablement cette situation. On peut deviner ce qu'étaient ses sentiments quand il lut une enquête publiée, le 14 octobre 1949, dans le Jewish Chronicle, l'hebdomadaire de la communauté juive britannique :

" Les autorités françaises, redoutant que l'exode ne prenne de plus larges propor­tions et désorganise la vie économique du pays, demandèrent au sultan de proclamer un dahir privant les juifs qui quittent le pays de la nationalité marocaine. Le sultan refusa formellement d'agir de la sorte. « Les juifs sont mes enfants comme les musulmans. Leurs ancêtres étaient les sujets de mes ancêtres et je suis conscient de mes responsabilités envers eux. S'ils s'en vont, je déplore leur départ. S'ils reviennent, je m'en réjouis et je leur souhaite la bienvenue comme un père dont les enfants se sont égarés et sont revenus plus tard dans la maison paternelle. »

Le premier quota mensuel avait été fixé autour de 600 départs contre les 2 500 demandés par l'Agence juive. De plus, ces départs ne concernaient que les habitants juifs des grandes villes, non ceux de la campagne et de l'Atlas, condamnés à attendre des jours meilleurs.

En visite d'information et d'exploration au Maroc fin octobre 1949 Jacques Lazarus, directeur du bureau nord-africain du Congrès juif mondial, notait qu'un grand pas avait été fait dans le domaine de l'alyah depuis sa reconnaissance officielle par les autorités. Il ajoutait toutefois :

" Néanmoins, cette alyah n'est que « tolérée » ; des précautions indispensables sont à prendre pour qu 'elle soit menée avec le plus de discrétion possible (éviter d'insérer toute information à ce sujet dans la presse juive de France et d'Afrique du Nord)."

Ces craintes étaient prématurées. Paradoxalement, la légalisation de fait de l'alyah, au lieu de donner le signal du grand exode redouté par le général Juin, permit de canaliser la vague de départs par une étrange rencontre d'intérêts entre la Résidence et le nouvel État d'Israël

Dès la signature de l'accord avec la Résidence, le premier soin du Mossad – qui resta toujours en charge de l'alyah d'Afrique du Nord sous la couverture de l'Agence juive – fut de demander à la population juive de reporter à plus tard ses plans de départ. L'idée sous- jacente de ce report était de profiter de ce délai pour mieux préparer et pour éduquer les Juifs du Maroc à leur future alyah. Son représentant en Afrique du Nord, Avidov, rappor­tait :

Nous avons envoyé des émissaires à Tanger, Casablanca et dans le Maroc espagnol pour essayer de canaliser la vague de départs. Ils ont prononcé des discours dans les synagogues, expliquant aux fidèles que le tour de chacun viendra, mais que, pour l'heure, ils devaient rester chez eux et attendre. Ces expli­cations n'ont servi à rien et ont eu souvent l'effet contraire. Ils y avaient vu une limitation de l'alyah et en avaient déduit qu 'il fallait en conséquence se dépêcher de partir. Nous étions impuissants…

Quelques mois plus tard, la première vague d'enthousiasme messianique passée, les réticences vis-à-vis de l'alyah des éléments les plus conscients et les plus évolués commen­cèrent à se multiplier au point d'inquiéter les émissaires envoyés surplace. Ceux-ci tirèrent une sonnette d'alarme dans une lettre collective adressée à Jérusalem en juin 1949 :

" Nous nous sommes rendu compte ci quel point le public ici a besoin d'être pru en main et cherche à connaître la vérité sans fard sur Eretz Israël, Surtout a vec la multiplication des lettres et des immigrants revenus au Maroc qui disent du mai de leur expérience. Il est indispensable de mener une campagne d'information sur les conditions objectives qui régnent en Israël pour restaurer leur confiance en sa destinée – mise à mal ces derniers jours.

En raison de ces médisances, on ne trouve plus cet élan qui avait enthou­siasmé les juifs du Maroc il y a quelques mois. Même la jeunesse est devenue indifférente à ce qui se passe m Eretz Israël, Nous avons souvent entendu les plus évolués d'entre eux dire la dureté des conditions en Eretz Israël ; nous sommes prêts à l'accepter – mais pas la discrimination. L'idée reçue ici est que le pays est entre les mains d'une seule tribu dominante, celle des « Polonais ». Alors, plutôt que de quitter la commodité de leur vie pour une vie de dur labeur et, en plus, être en butte à la discrimination, ils préfèrent rester sur place."

Apparu au départ comme notablement insuffisant, le quota de 600 visas par mois – soit 7200 par an, inférieur à la croissance naturelle de la population juive, estimée à 12 000 par an – ne fut jamais dépassé jusqu'en 1954. Le nombre d'immigrants approcha les 5000 en 1950 pour grimper, en 1951, à 7 770, retomber à 5 031 en 1952, et connaître son plus bas niveau en 1953, inférieur sans doute au nombre de retours au Maroc : 2 996.

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