Said Sayagh-L'autre Juive- le martyre d'une jeune juive marocaine de Tanger, exécutée à Fès en 1834

SIMHA, de panique bondit du lit. Elle étreignit son fils Issachar contre sa lourde poitrine, plongea ses doigts dans sa dense et douce chevelure, lui caressa la tête lentement, tendrement. Elle se mit à chanter : Dors, mon bébé Dodo, mon petit Sans peur,

Et sans douleur

Ferme tes jolis yeux

Dors, dans le bonheur et la tranquillité

Tu sortiras des langes

Tu iras au Talmud Torah

Tu apprendras les lettres

Tu sortiras du Talmud Torah

Tu iras dans la ville

Tu apprendras l’achat et la vente

Tu deviendras ambassadeur

Issachar se calma, ferma les yeux. Simha le mit sur l’oreiller, le couvrit avec un drap brodé et attendit un moment dans le noir, s’assura qu’il dormait, puis revint se coucher. Depuis que sa mère était tombée enceinte, Issachar n’ar­rêtait pas de se retourner dans le lit, pleurait et criait sans arrêt empêchant ses parents de dormir. « C’est le mauvais œil, l’œil yara » se dit Simha. Elle demanda à la grand- mère de faire le « tadhbir ».

La grand-mère prit un mouchoir et se mit à répéter en le mesurant avec sa main :

« L’œil du voisin et de la voisine,

Celui qui avec son bâton,

Celui qui sort avec son costume,

Celui qui te regarde avec un œil envieux,

Ses yeux éclatent comme des grains de couscous »

L’état de l’enfant ne s’améliora pas.

Alors, la grand-mère dit : « C’est lghial, l’enfant est allaité avec du lait avarié à cause de la grossesse. Il faut le sevrer avant qu’il ne soit trop tard. »

Haïm demanda l’avis du rabbin Tolédano qui lui conseilla d’amener sa femme au mausolée du tsadik Sidi Amram ben Diwan à Ouezzane. Devant cette réponse, Haïm faillit s’étrangler :

  • Voici qui confirme l’adage : « Qu’est-ce qui te manque, toi qui es nu ? demande l’un, une bague, mon seigneur, lui répond l’autre. »
  • Si tu ne veux pas, amène-la à la Hiloula de Moulay Ighi Daoud Lachkar à Ouarzazate… ou à Sidi Yakoub Moul Lma à Sidi Rahhal…

Haïm avala sa colère et se tut. Les saints sont nombreux et chacun a ses spécialités.

Et qui sait! Simha pourrait exiger une visite à SidiYahya à côté d’Oujda, non loin des confins turcs… ou Haïm Pinto… ou alors Sidi Yahya ben Younes? Ou Ben Zmirou, ou Rabbi Meïr ben Lhanch, ou Lalla Mennana enterrée à Larache et dont les miracles sont innombrables, ou Sidi Haroun Kouhen dit Sidi Kadi Haja… ?

Et pourquoi pas Moulay Driss à Fès, sa baraka n’est pas à négliger.

Vamos a zorear, dit Haïm, acculant au verbe « zar » arabe, visiter, la terminaison infinitive espagnole. Il avait l’habi­tude de le faire en hakétia

Haïm pouvait tout supporter sauf le ridicule. Ridi­cule de l’homme qui ne peut satisfaire les désirs de sa femme enceinte. Pire que cela ! Le rabbin pourrait le lui reprocher.

Même les marchands oublient leurs comptes quand leur femme eft enceinte.

Là visite à Ouezzane commença. Plus que la distance, c'est la montée qui rend difficile la hiloula à Sidi Amran ben Diwan. Même les ânes et les mulets s’y arrêtent malgré les coups qui s’abattent sur leurs flancs.

Simha passa une nuit entière à côté du mausolée du saint. Malgré le froid piquant et la peur, elle s’assoupit et fit un rêve de bon augure.

Le souci principal devint de connaître le sexe du bébé quelle portait. En son for intérieur, elle n’avait pas de préférence. Surtout qu'elle avait eu une fille en premier et que le garçon était toujours en vie. Elle ne partageait pas la conviction des juifs beldiyyin selon laquelle la femme devait commencer par une fille pour qu’un garçon lui succède ensuite.

Finalement, la coutume et les remarques incessantes prévalurent. Simha décida d’éprouver les dires des uns et des autres en matière de prévision. Elle commença par tremper une feuille blanche dans du lait, la mit dans le brasero. La feuille devint rouge, signe d’enfant mâle. Si elle était restée blanche, elle aurait annoncé une fille.

Puis, elle eut recours à l’augure avec l’épreuve de Lalla Mimouna à l’entrée de la maison. Le premier visiteur fut Zahra, la fille de Benoliel, l’une des plus belles filles d’Is­raël de Tanger. C’était un augure qui lui convenait.

Le ventre de Simha lui arrive à la bouche.

Depuis quelques jours, la grand-mère maternelle a com­mencé les préparatifs pour accueillir le nouveau-né: des langes en coton, de la ouate en laine cardée, une cape en tissu brodé de soie bleue et une brassière brodée de fils d’or. Elle n’a oublié ni bavoir, ni chemise, ni robe, ni nouvelle garde-robe pour la future maman. Le rôle qu’on lui reconnaît est de préparer les menus coupons. Elle tient à accueillir sa descendance du plus beau des accueils.

Elle a informé ensuite, Louya la sage-femme qui n’a pas sa pareille, tant elle est experte, a la main douce en plus de la puissance et la clarté de ses youyous.

La douleur a commencé à tordre les entrailles de Simha. Elle a l’impression que ses os vont se rompre. La douleur est insupportable et l’on s’attend à accueillir un garçon. Louya prépare la cuvette, ordonne de faire chauffer des bouilloires d’eau chaude et de brûler dans les braseros du bois de santal, de la gomme odorante, de la gomme de Java, de l’alun et du Fasoukh qui annule l’effet du mauvais œil.

Les cris de Simha montent au ciel; si elle le pouvait, elle lacérerait la peau à quiconque oserait l’approcher. Elle hurle et s’agrippe avec une force prodigieuse à la corde clouée au mur: « Je suis sous ta proteélion Sidi Haï'm Messas… protège-moi Baba Saleh… Sidi Bel Abbas protège moi… » Le saint musulman aussi n’échappe pas à ses implorations.

En face de la douleur, les femmes se mettent à prier et implorer tous les saints connus et inconnus pour délivrer la parturiente.

La sage-femme suggère de brûler sept échardes prises sur sept marches de l’escalier; rien… Alors que les cris s’intensifient, Benyamin, le fils de la voisine, arrive avec un seau d’eau puisée à la synagogue.

Peu de temps après, la sage-femme sort de derrière la couverture en laine qui tient lieu de paravent et crie: « Une fille, une gazelle, Dieu soit béni » et elle lance des youyous stridents et forts afin que tous les coins de la rue, avec ses maisons et ses boutiques, l’entendent.

Soudain s’élancent des youyous en réponse à ceux de Louya.

Celle-ci plonge son index dans une écuelle remplie d’antimoine noir. Elle trace un trait sur le front du bébé en répétant: « Shaddaï la protège! Shaddaï la protège! » Elle présente à Simha, pour lui redonner des forces, une préparation à l’œuf, à l’ail et à la menthe poivrée.

Le soir, elle lui donnera un bouillon de poule à l’oignon et au gingembre et, si le lait ne monte pas, il faudra aller chercher du colostrum d’une brebis qui vient de mettre bas.

Said Sayagh-L'autre Juive- le martyre d'une jeune juive marocaine de Tanger, exécutée à Fès en 1834.Page 29

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