Epreuves et liberation. Joseph Toledano

notre editorial - 31-07-1938

A Fès, où avait été esquissé, dès 1934, un rapprochement entre intellectuels juifs et Musulmans nationalistes, un groupe de 32 intellectuels, 16 Juifs et 16 Musulmans, adressèrent le 8 août 1937 un télégramme de protestation contre le projet de la Commission d'enquête Peel de partage de la Palestine, accepté par l'Organisation Sioniste Mondiale et rejeté par le Grand Mufti de Jérusalem :

« Nous avons l'honneur de vous présenter, au nom de tous les Marocains, musulmans et Israélites, nos énergiques protestations contre le rapport du Comité Royal britannique pour le partage de la Palestine, partage qui place les ־Lieux Saints sous la double autorité religieuse et civile de la nation britannique. Nous tenons absolument à vous prévenir des conséquences désastreuses qui en résulteraient par des troubles indésirables entre les deux éléments : arabe et israélite. Le monde ne serait pas étonné de voir revivre l'époque des Croisades. C'est pourquoi, Arabes et Israélites du Maroc unis, nous élevons notre voix énergique et souhaitons vivement l'abrogation totale de ce rapport que nous considérons funeste pour les deux peuples.

Nous sommes donc fondés à espérer que vous voudriez vous associer à nos vœux légitimes pour la réalisation d'un Etat palestinien indépendant, régi par des institutions démocratiques et parlementaires, seul régime à nos jeux, capable d'assurer aux deux éléments palestiniens, juif et arabe, des droits égaux dans leur cher pays... »

D'autres dirigeants nationalistes de la zone espagnole se laissèrent aller à des excès similaires dans leur presse, adoptant les clichés de l'antisémitisme européen et les thèmes de la propagande allemande et italienne et se servant des événements du Moyen-Orient pour mobiliser leurs troupes. L'année suivante, en juin 1938, à l'occasion de la commémoration de l'anniversaire du dahir berbère, le chef du PUM, Parti de l'Union Marocaine, Mekki Naciri, appelait ses compatriotes à " chasser la France du Maroc comme Hitler a chassé les Juifs d'Allemagne ".

Opposé comme lui à l'accueil au Maroc des réfugiés d'Allemagne, son rival, le chef du Parti National des Réformes, Abdelhaq Torres, accusait la France de vouloir " assimiler à la race marocaine pure et libre un groupe ethnique français mêlé de sang juif odieux. " (hebdomadaire Diffâa, 12 février 1938) Voix encore plus discordante, celle de l'hebdomadaire La Voix Nationale, fondé par le nationaliste de Salé, Abdel Latif Sbihi, qui reprenait à son compte les clichés les plus virulents de l'antisémitisme européen. Il accusait les Juifs de "parasitisme ", " d'accaparement massif des professions libérales et des meilleurs postes ". Ce journal considérait qu'ils privaient ainsi de débouchés les Musulmans instruits et acculaient " à la misère les masses musulmanes par la prolifération d'Israélites dans les services, leur mainmise sur les circuits commerciaux et leur putréfiant pullulement dans toutes les branches d'activités de notre pays ".

Il concluait que c'était une bien « mauvaise politique de vouloir bâtir un pays musulman avec l'aide d'une minorité juive ».

Le journal pro-sioniste de Casablanca, L'Avenir Illustré., qui engageait souvent la polémique avec lui, répondit en ces termes, dans son éditorial du 30 juillet 1938 :

« Sous des titres sensationnels comme L 'impérialisme sanglant, La terreur juive en Palestine, la Tragédie du Levant, La Voix Nationale, le journal réformiste de M Abedlataif Sbihi, a entrepris de traiter pour ses lecteurs musulmans la question palestinienne. Il serait plus exact de dire, qu'il a entrepris, à propos de la Palestine, de monter les esprits des Musulmans marocains contre les Juifs… C'est une bien mauvaise politique, écrivait l'autre jourLa Voix Nationale, " que de vouloir bâtir un pays musulman avec l'aide d'une minorité juive ". Nous reprendrons cette proposition et nous dirons ? Même, et surtout en pays musulman, c'est une bien mauvaise politique que de vouloir bâtir contre une minorité juive. Tout le problème Juif au Maroc a été transformé par la politique française. Nous comprenons que M. Sbihi et quelques-uns de ses amis réagissent contre ce qu'ils considèrent comme un avantage massif donné au judaïsme marocain par l'introduction de l'esprit français au Maroc. Mais, outre que les Musulmans ont bénéficié de cet esprit dans une mesure égale et même supérieure, l'ensemble des Marocains a vu sans regret et sans envie, s'améliorer le sort matériel et moral des Juifs. Quand M Sbihi répète : " Nous ne sommes pas antisémites ", nous entendons bien que, pour lui, le Juif est de droit voué à un état social inférieur. S'insurger contre le Juif quand celui-ci se croit libre et égal au Musulman et veut agir comme tel, c'est, selon lui, remettre la question au point. Non M. Sbihi, ce n 'est pas remettre la question au point… »

En privé, Abdelatif Sbihi laissait encore plus libre cours à ses sentiments antijuifs comme le rapporte le journaliste de L'Avenir Illustré, Jacob Ohayon auquel il confiait ?

׳ Les Juifs ont ruiné les Arabes ; ils se sont enrichis à nos dépens grâce à leur connaissance du français. Ils n'ont jamais été pressés pour apprendre l'arabe, la langue du pays qui les a vus naître, et ils affectent même pour nous narguer de ne parler d'autre langue que le français. Nous allons bientôt les tenir et nous nous vengerons. En tout cas, soyez certains, nous ne leur laisserons pas leur chemise sur le dos. »

De son côté, le journal des Alliancistes favorables à l'assimilation à la culture française, 'L'Union Marocaine, s'insurgeait également, dans son éditorial du 31 août 1938, demandant aux autorités des mesures contre ce déchaînement de haine :

« Ce n'est pas sans une profonde surprise que nous avons parcouru le dernier numéro de La Voix Nationale. C'est une véritable édition marocaine du fameux torchon incendiaire nazi Der Stürmer. Son cas, selon nous, relève des autorités supérieures du pays qui ne peuvent rester indifférentes devant de telles provocations à la haine et à la discorde entre éléments qui ont vécu jusqu'ici en parfaite harmonie. »

Mais ce renouveau de la ferveur religieuse identifiée au nationalisme panarabe, aboutit indirectement, pour les Juifs marocains, à un résultat inattendu : le rappel de l'ambiguïté de leur statut. Si dans la conception laïque du Protectorat, sa seule institution en avait fait des sujets égaux du sultan, pour le Makhzen théocratique, ils restaient des sujets à part, des protégés soumis au statut de dhimmis

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