Un grand juif Samuel David Levy – Raphaël Benazéraf
Un grand juif
Le grand juif que fut S. D. Lévy vient de nous quitter à l'âge de 97 ans.
Il était beaucoup plus qu'une personnalité juive du Maroc. Il était l'âme du judaïsme marocain, l'homme qui avait voué sa vie à tenter de faire passer la communauté juive marocaine du Moyen âge au XXe siècle.
Lors de ses obsèques, célébrées à Casablanca, le docteur Benzaquen, ancien ministre, président de la communauté juive de Casablanca, MM. Emile Sebban, directeur de l'École normale hébraïque de Casablanca, Elias Harrus, délégué de l'Ittihad-Maroc, ont évoqué les étapes de cette existence exemplaire.
Né le 4 décembre 1874 à Tétouan qui comptait alors 5 à 6,000 juifs, il fut élève de la première école de l'Alliance israélite ouverte dans cette ville en 1862. En 1889, il est admis comme élève maître à l'École normale israélite orientale de l'Alliance, à Paris. Quatre ans plus tard il est nommé instituteur de l'Alliance à Tunis. Il sera ensuite en fonction à Sousse, Tanger et Casablanca. Puis, en 1903, il est directeur, puis inspecteur des écoles de la colonie Mauricio de la JCA (Jewish Colonization Association), dans la province de Buenos-Aires, en Argentine. Il passera dix ans dans ce pays.
En 1913, il retourne au Maroc où il s'installe définitivement. Il se voue totalement à ses frères malheureux, négligeant une situation matérielle qui aurait pu être de premier plan.
Le génie de Lyautey ouvrait alors le Maroc au monde occidental. Mais la communauté juive y connaissait, allait y connaître encore pendant des dizaines d'années, une effroyable misère, voisine de la détresse. La masse, privée de protecteurs agonisait littéralement.
C'est pour cette population déshéritée du Mellah, de ce Mellah où la maladie était reine, pénétrant dans les maisons privées d'air et de lumière, qu'allait s'exercer l'apostolat de S. D. Lévy.
Pendant plus d'un demi-siècle il allait créer ou participer à la création d'œuvres dont la seule nomenclature donne le vertige : la Maternelle, l'Aide scolaire, le Centre antituberculeux, la Fédération des associations juives pour la lutte contre la tuberculose, le Préventorium de Ben- Ahmed, l'Union des associations juives de Casablanca, le Comité d'études juives, Maghen David, l'Ecole normale hébraïque de l'Alliance, l'œuvre des bourses Abraham Ribbi, la Fédération des associations d'anciens élèves de l'Alliance israélite, le Centre social du Mellah, l'O.R.T., l'O.S.E.
Sioniste militant – et dans ce domaine il s'opposait aux doctrines assimilationnistes en honneur dans les hautes sphères du judaïsme français d'avant guerre – S. D. Lévy et ses disciples estimaient qu'il fallait certes libérer le judaïsme des pays arriérés de la misère, de l'ignorance et des préjugés, mais avec l'espoir suprême de leur procurer le retour dans le pays de leurs aïeux.
C'est ainsi qu'il créa et présida dès le lendemain de la première guerre mondiale le Keren Kayemeth Leisraël et qu'il n'allait cesser de militer pour la réalisation du rêve de Herzl.
C'est lui encore qui dirige la délégation marocaine à l'assemblée extraordinaire du Congrès juif mondial qui allait tenir ses assises à Atlantic City en pleine guerre, du 26 novembre au 1er décembre 1944. Pour la première fois le judaïsme marocain était ainsi représenté dans une assemblée juive mondiale. Ses contacts aux États-Unis lui permettent d'obtenir la promesse que le Joint, l'O.R.T et l'O.S.E s'installeront incessamment au Maroc. On sait l'œuvre extraordinaire que ces organismes allaient y accomplir.
Nous n'avons pu que résumer ici une vie, une œuvre qui suscitent admiration et respect. Nous garderons fidèlement le souvenir de ce Juste, de ce Grand en Israël.
Allocution prononcée à l'occasion du décès de Monsieur Samuel D. Levy
Cité d'après l'ouvrage de E Sikirdji " S. D. Lévy. Une belle figure du Judaïsme marocain " édité à Casablanca à l'occasion du 80e anniversaire de S. D. Lévy, où l'essentiel de son œuvre hors série est mis en relief.