David Corcos Reflexions sur l'onomastique Judeo-Nord-Africaine-Jerusalem 1976

 ‘Aknïn se traduit textuellement par “le Jacobite” (=les descendants de Jacob); la forme arabe Ya'kübi explique parfaitement ‘Aknïn.

II n’y a que dans quelques Responsa de rabbins marocains que nous rencontrons quelquefois des ‘Akân. Aussi ce diminutif est-il inconnu même des Juifs du Nord du Maroc. C’est par une intuition admirable que D. S. Banett, “Le disciple Joseph ben Simon et Joseph ben Aknin” Tesoro de los Judios Sefardies VII (1964), p. 16, (héb.), a fortuitement entrevu la possibilité d’un lien entre le prénom Jacob, prénom que portait l’ancêtre d’un des Joseph ben Yehuda, et le nom Ibn ‘Aknïn qui était le sien. Il est évident que Banett ignore le diminutif de Jacob, ‘Akân.

On sait que l’erreur qui faisait confondre les deux philosophes, médecins etc. appelés l’un comme l’autre Joseph (ben Judah) ibn ‘Aknïn a été dissipée, cf. A. Halkin, “Ibn Aknin’s Commentary of the Song of Songs”, dans Alexander Marx Jubilee Volume, English section, pp. 402-405; D. S. Banett, art. cit., pp. 11-20:

  1. Hirschberg, The History of the Jews in North-Africa (Jérusalem 1965), t.1
  2. 267-270 (héb.); mais la question de savoir pourquoi ils portaient, tous les deux, le nom Ibn ‘Aknïn n’a pas été pour autant résolue. Dans le cadre de ce petit travail, il ne m’est pas possible de m’étendre sur ce problème autant qu’il l’eût mérité. Sans entrer dans tous les détails, j’en dirais seulement quelques mots. Nous avons à faire à dawx personnes différentes: (i) le commentateur du Cantique des Cantiques etc., Joseph ben Judah ben Joseph ben Jacob “Barceloni” qui vécut la grande partie de sa vie à Fès où il écrivit toutes ses oeuvres; (ii) Joseph ben Judah ben Simon ben Isaac “Maghrebi” (le dernier nom, Isaac, n’est connu que par une seule source, l’oriental al־Kifti), le disciple de Maimonide; il quitta Fès pour l’Orient longtemps après son maître. Si le nom Ibn ‘Aknïn est donné au premier Joseph c’est que son ancêtre, avons-nous dit, était le prénommé Jacob. Mais alors on peut s’interroger pour savoir comment un Espagnol (il serait né à Barcelone) pouvait porter un nom judéo-berbère. Son ancêtre, Jacob, est dit aussi “Barceloni”. Or, il n’est pas nécessaire pour cela qu’il fut né à Barcelone. Le fameux R. Isaac al-Fasi était né à la Kala‘a des Beni-Hammad. Son nom al-Fasi vient surtout de ce qu’il ait demeuré longtemps à Fès. Jacob “Barceloni” était dayyan à Barcelone et, sans y être né, y avait longtemps vécu. Jacob était probablement un africain comme tant d’autres dayyanim en Espagne à son époque, de même que son fils Joseph peut être le grand père de notre Joseph ben Judah. Joseph ben Jacob pouvait s’appeler déjà Ibn ‘Aknïn. Le disciple de Maimonide était, lui, un authentique maghrébin. Sa famille et lui même était de la ville de Ceuta. Il n’y a pas de Jacob parmi ses ancêtres. Pourtant, la tradition lui a donné le nom Ibn ‘Aknïn que, vraisemblablement, il porta dé son vivant. C’est, en ce qui le concerne, un nom qui apparemment, ne répond à rien. Cependant, en cherchant de plus près, on peut l’expliquer. Pour un esprit oriental ou arabisé dans une certaine mesure, le prénom Joseph évoque involontairement le prénom Jacob (comparez la règle de la künya arabe) : un Joseph est automatiquement “fils de Jacob”. D’autre part, le nom de famille de ce second Joseph ben Judah était, nous assure-t-on, Ben-Simon et là encore Simon est automatiquement “fils de Jacob”. Voyez, par exemple, le “prophète” des Barghwata, le Juif Tarif dont le père s’appelait réellement peut-être Simon; automatiquement, nous semble-t-il, l’informateur de El-Bekri (notre première source: cf. Description de l’Afrique Septentrionale, tr. de Slane, Alger 1913, p. 259) l’appelle: “Tarif ben Simon ben Jacob” et va plus loin en ajoutant “ben Isaac”. Jacob est lui aussi, automatiquement, “fils d'Isaac”; ces exemples ne manquent pas dans la littérature arabe. Aux yeux de ses contemporains, Joseph ben Judah ben Simon ne pouvait être qu'un “Jacobite”, un ‘Aknïn. Mais, dira-t-on peut-être, ‘Aknïn est judéo-berbère, pourquoi ce nom pour un homme né en Espagne et un autre né dans le grand port cosmopolite de Ceuta? Ici, il faut se rappeler l’importance que prit le berbère sous les premiers Almohades, époque pendant laquelle vécurent les deux Ibn ‘Aknïn: “Les Almohades”, nous dit Ibn Abi Zar’, “bouleversèrent tout à leur arrivée à Fès; autorités, khateb, imam furent remplacés sous prétexte que ne connaissant point la langue berbère leur ministère devenait inutile” (Rawd al-Kartas, tr. Beaumier.

David Corcos Reflexions sur l'onomastique Judeo-Nord-Africaine-Jerusalem 1976-page135

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