La communaute de Sefrou- Par le rabbin David Ovadia
ALLIANCE ISRAEILTE UNIVERSELLE
Paris le 26 avril 1960
Objet : INVITATION AU CONGRES DU CENTENAIRE DE
L’ALLIANCE (Paris 21-24 luin 1960)
Monsienur le Rabbin.
En 1960 l’Alliance célèbre le Centenaire de sa fondation.
Je serais particulièrement heureux que vous puissiez participer personnel- lement au Congrès du Centenaire de l’Alliance Israélite Universelle, qui aura lieu à Paris du 21 au 24 juin 1960, au Palais de l’UNESCO; les débats porteront sur les questions concernant l’éducation, la défense des droits de l’homme et l’esprit de tolérance.
Dès que vous nous ferez l’honneur de nous faire part de votre participation, nos collaborateurs ne manqueront pas de vous adresser un programme détaillé des travaux.
Je vous prie également de trouver, ci-joint, une brève note sur les événe- ments principaux qui ont marqué les cent ans d’histoire de l’Alliance.
Dans l’espoir de pouvoir vous rencontrer au Congrès du Centenaire de l’Alliance, je vous prie d’agréer, Monsieur, l’expression de mes sentiments distingués.
Monsieur le Rabbin DAVID OBADIA René CASSIN
Communauté Israélite Président
SEFROU (Maroc)
כ״ח בסיון תש״ך — (24.6.1960—21)
נאום שנשלח לצרפת לרגל חגיגות המאה לייסוד חברת ״כל ישראל חברים״. הופיע בספר:
LES DROITS DE L’HOMME ET L’EDUCATION
Actes du Congres du Centenaire de l’A.I.U.
בעמוד 182 והלאה Paris, 1961 Débat
- Jules Braunschwig: —Monsieur le président, mesdames.
Messieurs, nous avons eu, mon ami David Amar et moi, un scrupule de conscience.
- Amar a reçu du Rabbi Obadia de Sefrou au Maroc, rabbin très estimé, très brillant, très intelligent et très dévoué, une lettre dont jè voudrais vous lire de très larges extraits et qui est, dans une certaine mesure, en opposition avec tout ce que nous avons entendu dire ici…
Nous sommes tous réunis ici pour commémorer le Centenaire de l’Alliance et nous ne mesurerons pas les louanges à l’oeuvre magnifique, grandiose, accomplie depuis cent ans. Je sais que tous les orateurs qui se sont succédé ou qui se succéderont à cette tribune ont dit ou diront tous les mérites de l’A.I.U. Je suis venu du Maroc, pays qui a certainement le plus profité de l’Oeuvre de l’A.I.U. et je ne ménagerai pas mes louanges.
Et cependant c’est un cri d’alarme que je suis venu jeter ici. L’avenir de 200.000 de nos frères est en jeu; mes nuits sont tourmentées et mes journées inquiètes.
Comment ne serais-je pas angoissé, sachant que l’avenir spirituel de mes coreligionnaires marocains est des plus précaires? Voilà une population qu’on a sorti, que l’Alliance a sorti des ténèbres de l’ignorance et qu’on a abandonné au beau milieu d’un carrefour, d’où partent plusieurs chemins mais dont aucun n’est clairement indiqué. Oui, l’A.I.U. nous a émancipés comme Moïse a sorti les enfants d’Israèl d’Egypte, mais elle nous a abandonné en plein désert. Et nous attendons la révélation du Sinaï qui n’est pas encore venue.
Si c’était celà le but de l’Alliance, il est pleinement atteint et il ne lui reste plus qu’à se retirer avec toute la satisfaction d’une mission réussie.
L’A.I.U. a instruit les masses, les a émancipées et a formé des élites. Pendant des générations elle a dispensé la culture française et nous lui en sommes profondément reconnaissants. Et aujourd’hui la célébration de ce centenaire est pour nous l’occasion d’une joie sans mélange.
Et pourtant, si l’A.I.U. devait borner son ambition à former seulement des hommes cultivés, elle se renierait — par là même — Car n’importe quelle Oeuvre laïque aurait pu faire ce qu’elle a fait et le bien faire également.
A travers un siècle d’histoire l’écho de l’Appel des fondateurs de l’A.I.U. de Juin 1860 me bourdonne aux oreilles. Il commence ainsi: “Israélites, Si dispersés sur tous les points de la terre et mêlés aux nations, vous demeurez attachés de coeur à l’antique religion de vos pères …”.
Les signataires de L’appel de 1860 se référent à l’attachement à l’antique religion d’Israèl — Il n’y a pas de doute que dans leurs esprits, la raison d’être de l’Alliance était précisément d’emanciper les Isdaèlites politiquement juridiquement, et matériellement, mais non de les amener à s’assimiler, c’est à dire à se renier en tant qu’Israèlites.
Reconnaissons que l’oeuvre entreprise était de dimensions colossales et que de plus, les populations qui devaient jouir des bienfaits de l’émancipation étaient dans un état de claustration sociale terrifiant l es émanciper, c’était lutter contre les modes de vie et de pensée qui les maintenaient en état d’infériorité. Et le risque était grand de les voir du même geste rejeter le contenant, les pratiques plus ou moins superstitieuses, mais aussi le contenu, la vie intérieure, la religion.
N’est-ce pas ainsi que les choses se sont passées? Non seulement l'A.I.U. n’a pas réussi à maintenir les Israélites du Maroc attachés à l’antique religion de leurs pères, mais là où ils étaient restés liés à leur religion par un ensemble de coutumes perpétuées à travers les âges, l’A.I.U. est venu les délier sans leur montrer le vrai visage de leur relgion.
Le résultat est là — Une population probablement sauvée de la misère, de la maladie, de l’ignorance mais spirituellement perdue. La responsabilité de l'A.I.U. devant le Judaisme Marocain est effrayante. Elle a grandement contribué à créer un vide dans la vie intérieure de nos coreligionnaires — Et demain elle portera peut être devant l’Histoire la responsabilité d’avoir aidé à s’assimiler, à se détruire, la communauté la plus nombreuse des pays de l’Islam.
Je regrette, je souffre de l’affirmer, une grande majorité de l’Elite formée par l’A.I.U. est étrangère à l’esprit de la Thora, qu’elle a reniée dans la pensée souvent, dans les actes presque toujours. Je sais que telles n’ont pas été les intentions de l'A.I.U., mais malheureusement les faits sont là. Le processus a été simple; le sacré a été profané et sous prétexte de lutter contre des coutumes on a réussi à détruire dans les esprits le respect de la religion.
Quelques exemples vous illustreront ce processus mieux qu’un long discours — Les Instituteurs de l'A.I.U. ont obligé les élèves à se découvrir la tête en classe, ce qui est une façon de mépriser leurs pratiques religieuses. Certains ont même remplacé les noms hébraïques de leurs élèves par des noms chrétiens, ce qui est encore une façon de mépriser l’Histoire Juive — Ont-ils honte de leur laisser porter les noms glorieux de leurs ancêtres? En classe, on parle aux élèves de Noël, mais on oublie de leur parler de Hanouca — Encore une forme de mépris des pratiques religieuses.
L’enseignement religieux n’occupe qu’une place minime dans les programmes et fait figure d’enseignement de seconde zone; ainsi, il n’est pas tenu compte des résultats acquis en instruction religieuse pour le passage des classes.
Vous imaginez aisément ce qu’un tel comportement laisse dans l’esprit de l’enfant — D’une part on détruit le peu de Judaisme que l’enfant possède de par son milieu familial, et d’autre part on ne lui offre pas en compensation une religion exaltante — Nous voilà en plein désert comme je le disais tout à l’heure. Tout s’est passé pour l'A.I.U. comme si un choix délibéré s’est fait devant l’immensité de la tache — Formons d’abord de bons citoyens,
nous penserons plus tard à formèr de bons Juifs — ce choix a pu se faire à un moment donné, par opportunisme, mais il est temps de revenir aux sources vraies du Judaisme.
Au terme de ce premier siècle de l’exsitence de l'A.I.U., l’oeuvre d’émancipation peut être considérée comme une réussite, mais il reste pour ce 2ème siècle qui commence une oeuvre encore plus exaltante, ramener les Israélites à l’antique religion de leurs pères — Je suis convaincu que l’Alliance est en mesure, d’offrir à nos enfants plus qu’elle n’a donné aux générations passées — Je ne doute pas qu’elle puisse dispenser dans ses écoles un enseignement orignal et spécifique dans le cadre duquel la culture profane et l’éducation religieuse soient intimement liées. L’A.I.U. se doit dans la cent prochaines années se donner comme programme — former des bons Juifs conscients de l’originalité du message spirtuel du Sinaï, héritiers d’une religion universelle mais aussi mettant en pratique les commandements transmis à eux de père en fils.
Je suis conscient que ma voix de fausset est venue troubler ici l’harmonie du concert des louanges qui s’élève de partout pour glorifier l’oeuvre de l'A.I.U., et que ce n’est ni le lieu, ni le moment de dire les dures vérités. Mais je sais aussi que l’amertume de la vérité crue est au fond plus douce que les sucreries de la flatterie.
Je terminerai en formulant un voeu pour l’avenir de l’A.I.U. Dans cent ans, lorsque nos descendants se retrouveront pour célébrer le 2ème Centenaire de l'A.I.U., l’oeuvre méritera la louange que D. fit à Abraham. Il omit de le louer pour toutes ses qualités, son hospitalité, son dévouement à son prochain •— Il lui dit: — “ki yédativ limaans asher yetsavé eth banav véeth béto aharav veshamro derekh hasheni — ” “Car je l’ai aimé parce qu’il ordonne à ses fils et à sa maison après lui de garder la voie de !’Eternel.”
La communaute de Sefrou- Par le rabbin David Ovadia-PAGE 249